2p-- L’ENQUETE PRELIMINAIRE AU MAROC

Publié le par Jihad AGOURAM

2eme partie :

                              LES DROITS DE LA PERSONNALITE LORS DE

                               L’ENQUETE PRELIMINAIRE AU MAROC

   Etude préparé par : Maître Jihad AGOURAM

                                            Avocat stagiaire

 Sous-section 3 - Limitation quant au type de l’infraction 

    C’est aussi sur cette troisième condition que diffèrent les règles énoncées aux articles 66 et 80 CPP. Ce dernier limite expressément le champ de recours à la garde à vue aux crimes et délits punis d’emprisonnement alors que le premier article ne détermine pas le champ d’application de la garde à vue en matière d’infractions flagrantes. Cette divergence est partiellement écartée quand on sait que, selon l’art 56 CPP, on ne parle d’infraction flagrante qu’en matière de crimes et délits. Les contraventions sont de ce fait écartées.

    Toutefois, pour recourir à la garde à vue en ce qui concerne les délits ordinaires, l’art 80 CPP exige qu’ils soient punis d’emprisonnement, alors qu’une infraction est flagrante, chaque fois qu’on est en présence de l’un des quatre cas cités à l’art 56 CPP, sans faire appel au genre de la peine prévue.

   Ceci étant, on peut donc conclure que :

      -Il ne peut y avoir de garde à vue en matière de contraventions.

      -En ce qui concerne les délits, il y a lieu de distinguer ceux qui sont punis d’emprisonnement, et ceux qui ne le sont pas : face aux premiers, l’officier de la PJ peut toujours recourir à la mise en garde à vue, alors que cela ne lui est possible pour les seconds qu’en cas d’infraction flagrante.

      -La garde à vue peut toujours être ordonnée en matière de crimes. On peut critiquer le législateur sur ce point. Qu’est ce qui justifie, pour une infraction punie de résidence forcée (art 234 CP) ou de dégradation civique (art 227 et 229 CP), que le suspect soit mis en garde à vue, alors que la peine privative de liberté n’est point envisagée par les textes, même en cas de culpabilité ? On pourrait remarquer que le texte officiel arabe de l’art 80 CPP n’est pas très formel en ce qui concerne les crimes. Il n’est pas clair si l’expression « punis d’emprisonnement » n’est relative qu’aux délits ou si elle s’étend aux crimes également. Une telle remarque est aisément rejetée car, en matière de crimes, la peine privative de liberté est dénommée réclusion et non pas emprisonnement.  

    On constate donc qu’il n’y a opposition entre les articles 66 et 80 CPP qu’en ce qui concerne les délits. Cependant, une partie de la doctrine(6) interprétant les dispositions des articles 68 et 82 de l’ancien CPP (ACPP), ne fait aucune allusion à cette différence. Il importe de remarquer que les dispositions de ces deux articles sont quasiment identiques à celles des articles 66 et 80 CPP. Selon ladite doctrine, il ne peut y avoir de garde à vue que si la peine prévue pour l’infraction est privative de liberté, car il n’y a aucun intérêt - voire il y aurait atteinte aux libertés des individus - en détenant un suspect lors d’une enquête relative à une infraction non punie d’une peine privative de liberté. Or, bien que cette vision va de pair avec l’idée, théoriquement recherchée par le législateur pénal de 2003, de renforcement des droits des individus, elle va à l’encontre des textes :

       -d’une part, ni l’art 66 ni aucune autre disposition du CPP n’exige que le délit soit puni d’une peine d’emprisonnement en cas d’infraction flagrante pour permettre le placement en garde à vue ;

       -d’autre part, quand il a voulu conditionné la mise en garde à vue par la qualité de la peine prévue pour l’infraction, le législateur l’a expressément édicté, comme c’est le cas à l’art 80 CPP.

            sous-section 4 - Limitation de période

   Une fois toutes ces conditions rassemblées, l’officier de la PJ a le droit de décider la mise en garde à vue. Cependant, le sujet de cette décision ne peut être détenu à jamais. Le principe veut que les effets de l’exception soient restreints : étant une exception aux droits de la personnalité, la garde à vue doit être temporairement limitée. Le législateur a donc désigné une période pendant laquelle le prévenu peut rester en garde à vue. Cette période ne peut excéder une durée maximum. Une fois achevée, le concerné doit immédiatement être relâché ou présenté devant le représentant du parquet. 

    Selon les dispositions des articles 66 et 80 CCP, la distinction entre infraction flagrante et infraction ordinaire n’a pas d’effets sur la période de garde à vue. Cependant, les délais ne sont pas les mêmes pour toutes les infractions. On distingue à ce sujet deux délais différents :

     -La durée de la mise en garde à vue ne peut excéder 48 heures.

      -Toutefois, cette durée s’élève au double, à savoir 96 heures, pour les infractions contre la sûreté de l’Etat et les infractions terroristes. Les premières sont réglementées par les dispositions des articles 163 à 218 CP, alors que les secondes furent l’œuvre de la loi 03-03 complétant le code pénal(7). 

   Mais à cause de la brièveté de ces délais, et étant donné le temps requis par les services de la PJ pour l’accomplissement de leurs missions, les articles 66 et 80 CPP ont prévu la possibilité de prolongation de cette durée. Cette prolongation, elle aussi limitée dans le temps, est soumise à des conditions de forme.

      -Ainsi, il ne peut y avoir de prolongation sans autorisation écrite du parquet.

      -On ajoutera sur ce point de formalités, que l’art 80 CPP conditionne la prolongation pour les infractions ordinaires par la présentation du concerné devant le représentant du parquet, sauf en cas d’exception. Cette présentation n’est pas exigée pour les infractions flagrantes.

    Une fois ces formalités réunies, l’officier de la PJ peut prolonger la durée de la garde à vue. Cependant, cette prolongation ne peut être sans limites. On distingue trois délais de prolongation :

    -D’abord une prolongation de 24 heures en tant que règle générale.

     -Ensuite une prolongation de 96 heures pour les infractions contre la sûreté de l’Etat .

    -Puis une double prolongation de 96 heures pour les infractions terroristes.

                  Section 2 :La nullité de la garde à vue

    Bien qu’ils déterminent les différentes conditions de recours à la garde à vue, les articles 66 CPP et suivants ne prévoient aucune sanction pour le défaut de l’une d’entre elles. On peut s’interroger donc sur la nature d’une garde à vue qui n’a pas réuni toutes les conditions légales. Peut-on la considérer existante et valide ? Ou devrait-elle être réputée nulle ?

    Les conséquences qu’ont les procès verbaux (PV) établis par la PJ lors de l’enquête préliminaire sur le déroulement du procès devant le tribunal, démontrent l’importance de la question. Selon l’art 289 CPP, seuls les PV valides, ceux qui ont été rédigés selon les formes et modalités prescrites par la loi, bénéficient de la force probante. Il s’ensuit donc que les PV établis suite à une garde à vue illégale, sont dépourvus de toute force probante. Ils doivent ainsi être écartés du dossier de l’affaire.

    L’art 751 CPP est plus précis sur la nature d’une garde à vue non conforme à la loi. Selon ses dispositions, tout acte de procédure accompli d’une façon autre que celle édictée par le CPP, est considéré non effectué. L’application de l’art 751 CPP sur les cas visés aux articles 66 et 80 CPP, entraîne l’annulation de toute garde à vue ordonnée en matière d’infractions non visées par la loi – les contraventions notamment -, en l’absence de nécessité, ou encore pendant une période excédant les durées légales. Les PV établis à l’occasion d’une garde à vue irrégulière seront de ce fait nuls car la garde à vue est considérée comme n’ayant jamais existé et, partant, sans le moindre effet.

    Les juridictions marocaines ont souvent eu l’occasion de se prononcer sur les délais légaux. En 1992, la Cour d’Appel de Rabat avait décidé que, en matière de crimes, la non observation des formalités requises par la loi, ôte aux PV tout effet et utilité, voire leur caractère informatif(8). On notera aussi à l’actif des juridictions d’exception sur le stade de la consolidation et de la protection des droits des individus, d’une part, un arrêt de la Cour Militaire privant les PV de tout caractère légal, parce que la période de garde à vue avait dépassé la durée légalement permise (9), et d’autre part, un arrêt de la Cour Spéciale de Justice qui avait écarté les PV pour non conformité à la loi, en raison des mêmes motifs(10).

    Cependant, si les juridictions de fond se prononcent en faveur de la préservation et de la concrétisation des droits, plus étrange est la position de la Cour régulatrice. Sous le règne de l’ACPP, et lors d’un arrêt qui avait suscité une vaste polémique et qui est largement contesté par la doctrine(11), la Cour suprême adopta les motifs de la Cour d’appel qui avait décidé que bien que les articles 68 et 82 CPP désignent, en des formules impératives, la durée légale de la mise en garde à vue, ce code ne prévoit pas expressément la nullité en cas de non respect de cette durée, comme c’est la cas pour les articles 61, 62 et 64 relatifs à la perquisition(12). Cet arrêt en était même arrivé à approuver tacitement, à travers la confirmation de la décision de la Cour d’appel, que le défaut de respect de la durée légale de garde à vue, pour des raisons d’enquête et de recherche, ne constitue d’atteinte ni aux droits à la défense ni aux libertés privées.

     L’existence d’un tel arrêt au sein de la jurisprudence marocaine pose, outre les problèmes de l’interprétation des textes de loi et du rôle de l’appareil judiciaire en matière de protection des droits des individus, la question des vraies principes qui ont guidé le législateur pénal en 2003. Les institutions étatiques se sont largement prononcées, lors de la période postérieure à l’adoption du nouveau CPP, en faveur du renforcement des droits et libertés. Comment pourrait-on donc expliquer que les nouvelles dispositions relatives à la nullité des PV à cause du non respect des délais légaux de la garde à vue, soient textuellement reprises des articles 68, 82 et 765 de l’ancien code ? Ne pourrait-on pas dire que, si le législateur avait voulu entériner la jurisprudence contestée, il aurait expressément prévu une disposition pour l’annulation des PV dans ces cas ? La Cour Suprême ne serait-elle pas plus conforme au Droit, en motivant ainsi un prochain arrêt, au lieu de se baser sur le défaut de sanction la de nullité, tout en négligeant l’art 751 CPP qui remplace l’art 756 ACPP ? 

     On a entendu dire, lors de la seconde session de formation des avocats stagiaires organisée en 2005(13), que plusieurs revendications furent formulées afin de prévoir explicitement la nullité des PV établis suite à une garde à vue illégale. Pour répondre à ces demandes, selon la même source, les rédacteurs du projet se sont prévalus des dispositions de l’art 751 CPP. En cas de sa véracité, une telle réponse est absurde car l’existence d’un texte identique au sein de l’ACPP n’a pas défendu à la jurisprudence marocaine de juger valides les PV établis à l’occasion d’une garde à vue illégale. Il est donc flagrant que le législateur n’a pas voulu sanctionner les PV établis en violation des conditions légales relatives à la mise en garde à vue, et toute autre révélation contraire émanant d’une source ayant contribué à l’élaboration du CPP est inacceptable de sa part, et porte atteinte à sa crédibilité.  

    Il faut signaler avant de conclure que le TPI de Casablanca a récemment rendu un jugement en la matière(14). Dans une affaire où le suspect était resté à la disposition de la PJ pendant plus de 48 H, sans que le dossier ne contienne aucune preuve de l’autorisation de prolongation, le tribunal a considéré illégale la période de la garde à vue dépassant le délai maximum. Mais il ne faut pas encore crier victoire car ce jugement n’a fait que déclarer la mesure de garde à vue illégale, sans prononcer la nullité des PV. En outre, il a tacitement considéré les PV valides en jugeant que le tribunal ne peut tirer ses conclusions en ce qui concerne les déclarations du prévenu, contenues dans le PV, qu’après l’avoir entendu. De plus, afin d’éviter l’annulation des PV, le jugement a motivé sa position en se basant sur le défaut d’un texte formel en matière de garde à vue, comme c’est le cas pour la perquisition, et sur un arrêt de la Cour Suprême daté du 14 juillet 1972, où elle décida que la nullité ne pourrait résulter de la violation de la mise en garde à vue, à moins qu’il ne soit prouvé que cette violation ait vicié, sur le fond, la recherche et la preuve de la vérité.

    On peut donc déclarer que la pratique, à travers le jugement sus cité, démontre que le CPP n’a rien apporté de nouveau en ce qui concerne la condition de la période maximum de la garde à vue. Reste à craindre que les juridictions supérieures, bien que leurs décisions et arrêts soient légalement fondés, ne confirment cette position. Le législateur marocain pourrait alors se féliciter du grand profit qu’il a tiré d’une expérience de plus de quarante ans, de 1959 à 2003, pour améliorer son produit et combler ses lacunes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans droit (francais)

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